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jeudi 30 décembre 2021

Ma pire expérience de grossophobie médicale : la moins "violente" de toutes


Voilà plus d'un an que je n'ai rien écrit sur le blog. Mais au-delà de la fatigue et du surmenage habituels, je sais d'où ça vient : une des dernières expériences de grossophobie médicale que j'ai vécues en avril dernier m'a mis une claque dont je ne me suis pas encore remis·e

Comme l'année avait déjà commencé assez sur les chapeaux de roues avec l'émission de chirurgie bariatrique grossophobe de Karine Le Marchand sur M6 et que la mobilisation de Gras Politique et des militant·e·s féministes anti-grossophobie #PasMaRenaissance avait été extrêmement énergivore... j'ai du me mettre en retrait pour cicatriser —tout en culpabilisant de ne plus trop réagir aux actualités sur la grossophobie ces derniers mois, sinon, ça n'aurait pas été drôle. Bref, je ne sais pas si je suis tout à fait prêt·e à l'heure où j'écris ces lignes, mais j'ai en tout cas la certitude qu'il m'est nécessaire de laisser cette mauvaise expérience derrière-moi, en 2021, et qu'il me reste très peu de temps pour le faire en posant des mots dessus. Alors advienne que pourra, je me lance. 

Baisser sa garde face à la grossophobie médicale : grosse erreur !

Comme le titre vous l'aura indiqué, je vais vous parler de l'expérience de grossophobie médicale que j'ai le plus mal vécu en 32 tours du Soleil, bien qu'elle n'ait pas été « méchante » ou « maltraitante » pour un sou. Faites-vous infuser un petit pisse-mémé, je vais planter le décor et ce ne sera pas exactement rapide.

Militant·e LGBTQI+ et féministe engagé·e dans la lutte contre le VIH/sida et la sérophobie depuis 2015, dans une association, puis maintenant deux, j'ai souhaité en début d'année dernière intégrer un essai vaccinal ambitieux qui s'est lancé en région parisienne. Cela nécessitait : une bonne disponibilité durant plusieurs mois pour des examens réguliers, de suivre des consignes assez strictes pour que le protocole scientifique de l'étude soit respecté et être à l'aise avec l'idée que, selon si on se retrouvait dans le groupe placébo ou non, il y avait la possibilité de se retrouver avec un "faux positif" VIH (la présence souhaitée d'anticorps lorsque l'on développe un vaccin, en gros). Ce qui, sérophobie administrative oblige (les personnes séropositives sous traitement ont une espérance de vie égale à celle des séronegs), aurait nécessité des justificatifs pour les banques et assurances lors d'une demande prêt notamment, sachant qu'en temps que personne obèse je suis déjà mauvais·e candidat·e pour ce genre de démarches... mais c'est un autre sujet.

Le jour de mon entretien avec une des deux personnes en charge de l'essai vaccinal en visio, j'avais bien tout cela en tête, mais une question et une seule à poser : mon poids va-t-il être un problème pour participer à cette étude ? Après mes découvertes du printemps 2020 sur les restrictions « à la tête du client » imposées aux donneurs·ses de sang gros·ses par de l'Établissement Français du Sang, je préfère ne pas compter sur l'objectivité des soignant·e·s que j'ai en face sur le sujet et poser directement la question. Mais, mon obésité ne sera pas un obstacle, m'assure le professeur ! Une réponse apaisante qui m'a permis de me projeter dans ma participation à cet essai qui, vous l'aurez compris dans le paragraphe précédent, me tenait énormément à coeur.

On en apprend vraiment tous les jours sur l'étendue de la grossophobie

Rassuré·e, quelques semaines plus tard, je me rends dans l'un des hôpitaux où le suivi de l'étude est assuré, en journée, sur des heures qu'il me faudra rattraper au travail. Je m'acquitte des formalités à l'accueil puis suis reçu·e par une personne que je ne connaissais pas et non mon interlocuteur, dans un bureau, pour un dernier entretien avant de passer aux prises de sang préalables à l'entrée dans le protocole d'essai. Tout d'abord, on doit s'assurer que je n'ai pas de contre-indications. Je parcours le document de plusieurs pages (je n'ai pas compté, j'aurais dû, me dis-je rétrospectivement, pour souligner l'absurdité qui approche), et rien, absolument rien, en travers du chemin. Mais une fois cela terminé, on me demande de monter sur la balance. J'ai vu flou. Je ne l'ai pas vu venir et n'ai pas su protester, alors même que mes angoisses d'ancien·ne anorexique de me confronter à cet instrument de torture sans avoir enlevé toutes les couches de vêtements possibles auparavant remontaient, je suis monté·e dessus.

Tout est allé très vite. Je n'ai pas regardé mon poids, je m'en fous, mais la soignante s'est immédiatement lancée dans le calcul de mon IMC, sans un regard vers moi. Verdict : 42 et des poussières, ce qui, apparemment, disqualifiait sur le champ ma participation. La pièce s'est mise à tanguer. Pardon ? La limite est de 40, m'indique-t-on. Ce n'était pas sur le questionnaire que je venais d'avoir entre les mains, et surtout, le mec à la tête de l'étude m'avait assuré que mon obésité ne serait pas un problème. Il doit y avoir une erreur. J'essaie de garder mon calme et demande à ce que cela soit confirmé, ou infirmé. Elle me laisse seul·e quelques minutes dans la pièce puis revient avec une collègue, l'air gêné, un peu désolé aussi, pour me dire que, effectivement, on m'avait fait·e venir pour rien car ma candidature à l'essai n'était pas recevable en raison de mon poids. 

Je ne sais pas comment j'ai réussi à sortir de ce dédale de couloirs, d'ascenseurs et de halls en gardant la tête haute, mais une fois sur le parking, j'ai explosé. Malgré le flot continu de larmes qui embuait mes yeux, je me suis empressé·e d'écrire au professeur qui dirigeait l'étude pour lui faire part de mon incompréhension et de ma déception, tout en lui rappelant le b.a.-ba de l'IMC, à savoir :

Quelques heures plus tard, lorsque j'ai repris ma journée de télétravail, défait·e et les yeux en feu, j'ai reçu sa réponse :

« Chère Olga je suis désolé et cela est de ma faute j'aurais du demander plus exactement vos mensurations. Je suis d'accord avec vous que tout cela est assez arbitraire mais ce sont des critères que nous ne pouvons pas contourner.

Je vous remercie encore pour votre engagement et vous tiendrai au courant si vous le souhaitez de la suite de ce projet

Bien cordialement »

Naturellement, je n'y ai rien trouvé de réparateur dans ces mots, juste un bon torrent de boue au moulin de ma colère. « Je suis d'accord avec vous que tout cela est assez arbitraire mais ce sont des critères que nous ne pouvons pas contourner ». Un éminent membre du corps médical venait littéralement de hausser les épaules pour confirmer toutes les choses que les fat activistes dénoncent depuis des décennies au sujet de l'IMC comme unité de mesure pertinente.

Je suis trop lourd·e —par rapport à quoi, on ne sait pas— juste trop lourd·e

J'aurais pu surenchérir : mais du coup, le vaccin, à terme, il serait aussi injecté à des personnes obèses, n'est-ce pas ? Je n'ai aucune des nombreuses et pour certaines fréquentes contre-indications à l'étude et c'est mon IMC, qui ne donne aucune indication sur mon état de santé, le facteur d'exclusion ? Vous admettez que l'Indice de Masse Corporelle est un outil daté et arbitraire mais vous n'avez pas songé à l'enlever des facteurs de sélection pour votre étude parce que... c'est comme ça ? Je bouillonnais de rage. Mais j'ai préféré laisser tomber. Je suis trop lourd·e — par rapport à quoi, on ne sait pas — juste trop lourd·e et ce constat est un point final. Avec des années de lutte contre diverses formes de grossophobie derrière moi, j'ai appris à choisir mes combats, celui-ci était, malgré ce que l'on m'avait initialement assuré, perdu d'avance.

Clairement, vous avez venu voir le truc dès les premières lignes de ce témoignage, contrairement à moi qui me pensais en sécurité après un échange oral. Mais j'ai envie de m'attarder sur le ressenti que j'en ai, encore aujourd'hui, 8 mois après. Dans le titre puis l'intro de ce billet de blog, je parle de la pire expérience de grossophobie médicale que j'ai vécue. Je m'auto-choque presque, en l'admettant. Parce que des connards en blouse blanche qui m'ont fait une leçon sur la posture, le sport et l'alimentation sans regarder ma gorge alors que je venais pour une angine purulente ou qui ont pris soin de préciser que mon foie était « graisseux » pendant l'écho censée déterminer la taille des calculs rénaux qui me faisaient tordre de douleur, j'en ai rencontré un paquet sur mon chemin...

Les médecins qui se sont montré·e·s méprisant·e·s, injustes, indélicat·e·s, insensibles voire méchant·e·s quant à mon poids, je ne les compte plus, et ça, c'était de la violence médicale grossophobe pure jus. Alors pourquoi est-ce que j'ai si mal vécu cette dernière expérience ? Après tout, ce n'est pas un droit que de pouvoir participer à une étude clinique en tant que cobaye, j'en ai bien conscience. Il ne s'agit pas non plus de mon accès à la santé, fondamental, je m'en rends bien compte.

J'ai échangé avec pas mal de copaines ces derniers mois à ce sujet, concerné·e·s par le VIH, par le surpoids ou l'obésité, les deux à la fois pour certain·e·s, ma psy bien sûr et quelques soignant·e·s non-grossophobes de mon entourage. Toustes ont été choqué·e·s et m'ont confirmé que je n'étais pas dans le caprice que ma grossophobie intériorisée me le laissait penser. Iels m'ont permis de comprendre que ce que j'avais vécu là en terme de grossophobie médicale était une violence symbolique réelle. Et c'est vrai, en sortant de l'hôpital, je me sentais bon·ne à rien, inutile et seul·e fautifve de l'être. Ce qui est bien caractéristique des délicieuses sensations que la grossophobie offre aux gros·ses — sans solutionner « l'épidémie d'obésité » pour autant, étrangement, mais bon, comme pour l'usage de l'IMC, on continue, parce que flemme de changer quoi que ce soit pour ces feignasses de gros·ses et puis, le contrôle du corps est une valeur vue comme morale facilement cotable en bourse après tout !

Rappel : aucune excuse pour la grossophobie.

Ce n'est certes pas mon intégrité physique qui a été menacée, mais ma valeur en tant que membre de la société qui a été remise en question par cette règle bancale mais traditionnelle de l'IMC « trop élevé », comme pour ma mésaventure au don de sang. Et, mes cher·e·s adelphes du gras, laissez-moi vous dire et vous répéter que tout, absolument tout, ce qui nous fait sentir inférieur·e·s, indésirables et indignes de considération et de respect en raison de notre grosseur est le problème que nous n'avons jamais été.

Mes gros·ses sûr·e·s, en cette période de fêtes de fin d'année particulièrement riche en grossophobie, je vous envoie toutes mes plus tendres pensées pour vous caresser, si vous y consentez, dans le sens du bourrelet. J'espère —sans trop y croire non plus, vu que la dernière fois que je me suis permis d'être moins vigilant·e la réalité m'a roulé dessus— que l'année 2022 sera plus douce avec nous. Prenez soin de vous, et, vraiment, invoquez le pouvoir de la non-mixité grosse aussi souvent que possible pour recharger les batteries ❤️❤️❤️



PS : quant à l'IMC, l'article de Lucie Inland Plus que jamais, l'IMC est une mesure obsolète de la bonne santé sur Slate (qui m'a d'ailleurs fait l'honneur de citer mon billet sur le don du sang) est un essentiel, à faire lire à toustes !

mercredi 20 mai 2020

Obésité et interdiction de donner son sang ? Grosses imprécisions dans les règles de l'EFS...



Le jeudi 16 avril dernier, j’ai écrit à l’adresse mail de l’étude Plasmacovid de l’hôpital St Antoine, en lien avec l’Établissement Français du Sang. Comme son nom l’indique, c’est une recherche en cours sur le plasma des personnes ayant eu le Covid-19, afin de trouver un traitement pour les malades.

Alors que je pensais qu’on ne me répondrait jamais car je m’y étais pris trop tard, le 7 mai, une médecin de l’EFS me rappelle pour me poser les questions de routine puis pour prendre RDV. Tout va bien jusqu’au moment où l’on évoque mon poids, qui n’avait pas été mis à jour depuis mon dernier don, il y a un petit moment. 115 kilos pour 1m71, j’entends une contrariété dans la voix au bout du fil. « Hmmm… c’est un IMC à 39,3 soit juste à la limite ! ».


« Ben ça peut faire des problèmes de santé après… »



Comment ça, la limite ? Quelle limite ? Je suis donneurse depuis plus de 10 ans et c’est la première fois que j’entends parler de ça, alors que la limite des 50kg minimum — qui ne m’a jamais concernée — je l’ai toujours vu mentionnée partout ! Mon interlocutrice me dit qu’avec un IMC égal ou supérieur à 40, pas de don possible. Coincé•e entre ma joie de pouvoir mettre mon historique de coronavirus à contribution, la surprise complète face à cette info contrariante et l'envie de gueuler injustement contre la (par ailleurs très gentille) médecin au téléphone… Je n’ai pas réussi à venir questionner correctement cette histoire de limite haute. Naturellement, en guise d’explication fuyante, j’ai eu le classique « ben ça peut faire des problèmes de santé après… ». Okay, vu.


Le temps de digérer cette nouvelle et voir ce que j’allais en faire, plus d’une semaine avant de me rendre à l’EFS, j’ai partagé cette déplaisante découverte sur les réseaux sociaux. Je n’ai pas fait de statistiques mais, à vue de nez, j’ai eu 85% de personnes concernées sur leur gros cul, choquées, et les 15% restants s’étaient déjà vu refuser un don de sang en raison de leur poids. Ça sent le truc à l’appréciation de lae soignant•e qui mène l’entretien en amont du don, ça !... Pour m’éviter de me jeter sur cette conclusion en prenant un raccourci, j’ai fouillé sur le site de l’EFS. Mais rien, nulle part, ne stipule une telle limite. Et mon énervement n’a fait que croître. J’ai donc fini par poser ma question dans ma conversation mail initiale. Rapidement, j’ai eu la réponse suivante :

« Un IMC supérieur ou égal à 40 est estimé comme un facteur de risque, élément important pour nous médecin à prendre en compte lors de l’entretien médical pour un bonne tolérance sur le plan cardiologique. Le poids et la taille étant des données mises à jour à chaque entretien pré-don. La sécurité du receveur et du donneur est primordiale. En vous remerciant de l’ intérêt que vous portez aux malades, je reste à votre disposition pour tout complément d’information »
Puisque la réponse restait vague et que l’on m’a ouvert la porte pour continuer à poser des questions, je suis retourné•e à la charge en faisant part des retours que j’avais eus de donneurses gros•ses, et de ma propre expérience de grossophobie médicale. La réponse, un peu plus échaudée du côté de la docteure au bout du clavier, ne s'est pas faite attendre :
« En aucun cas c’est selon l’appréciation personnelle des personnes habilités à l’entretien pré-don. L’arrêté du 17 décembre 2019 réactualisé le 02/04/2020 fixant les critères de sélection des donneurs de sang nous explique que dans le cadre de l’obésité, le volume sanguin est surestimé par rapport au poids seul et expose ainsi le donneur à un risque plus important d’incident indésirable. La sécurité du donneur est aussi importante que celle du receveur. »

Ah ben voilà, de vrais éléments à creuser. Et, clairement, le principe de prendre soin de la personne qui donne son sang autant que celle qui le reçoit est essentielle, bien sûr ! Sauf qu’en consultant le texte de loi qu’a évoqué cette membre de l’EFS sur Legifrance, aucune trace des directives qu’elle a évoquées dans le mail. Je lui envoie donc le lien pour lui demander si c’est bien ce texte-là, ou si elle peut m’en envoyer le document auquel elle fait référence. JE VEUX COMPRENDRE.


« Il n’y a pas de loi qui stipule cette limite, il s’agit de bon sens »

Manifestement, j’ai déclenché une petite panique en interne, car c’est une docteure de l’EFS de Créteil qui m’a appelée dans l'heure qui a suivi, après qu’on lui a transmis mes mails. La suite s’est donc faite à l’oral, à mon grand regret. J’ai tenté de prendre les notes les plus fidèles possibles, mais ce ne sera pas aussi précis qu’avec un échange écrit, forcément…


« Il n’y a pas de loi qui stipule cette limite, il s’agit de bon sens », me dit-elle tout d’abord, « car notre mission première est la sécurité donneur ». Encore une fois : j’entends et je respecte cette approche là, mais ce n’est qu’une réponse partielle à mon interrogation, légitime. Elle m’explique ensuite qu’il y a un premier facteur, pour une limite haute, d’ordre matériel : « Sur les lieux de collecte mobile, les fauteuils ne peuvent pas soutenir une personne pesant plus de 130 kilos ». C’est relou, mais c’est pas comme si on avait pas l’habitude que les infrastructures ne nous prennent pas en compte, nous les gros•ses. Rien de surprenant ou de révolutionnaire de ce côté, donc. Mais quid des risques dont m’avait parlé ma première interlocutrice ?

La médecin enchaîne alors avec des explications sur l’aspect médical de la question, pour justifier un refus aux personnes avec un IMC égal ou supérieur à 40. À l’EFS, l’IMC permet de « ranger les sujets en trois catégories : maigres, normaux, obèses ». Hum. « Les personnes obèses n’ont pas plus de sang dans leur organisme que les autres et quel que soit le sujet, on ne peut pas prélever plus de 13% de la masse sanguine totale ». Pour finir, elle me répète qu’elle ne peut pas me renvoyer vers un document détaillant cette règle, mais que je peux me référer au calcul de Gilcher sur le volume sanguin total, sur lequel se base l’EFS pour encadrer ses dons.


Voici ce que j’ai trouvé sur le dit calcul ici (sic) et :


« Règle des 5 de Gilcher permettant de calculer le VST (volume sanguin total)

Femme :
- obèse : 60 ml/kg
- normale : 70 ml/kg
- maigre : 65 ml/kg
- athlétique : 75 ml/kg.

Homme : VST de la femme + 5 ml/kg » 


Okay, là, j’ai eu ma réponse. C’est quand même autre chose que les « facteur de risque » ou « incident indésirable » qu’on m’a servi de prime-abord, sans explications concrètes pour étayer !




Calculs incomplets, justifications bancales


Cependant, si ces précisions finalement obtenues me semblent en effet faire appel à une vraie logique, que je peux envisager d’accepter, elle ne me font pas décolérer pour autant. Pourquoi ? Parce que :

  • Si la limite basse des 50kg minimum pour faire un don est indiquée absolument partout, celle qui touche à un IMC supérieur ou égal à 40 ne l’est pas. Un refus qui tombe du ciel pour une personne n’ayant pas connaissance d’une limite la concernant, c’est violent. Et injuste. Surtout après avoir fait la démarche de venir sur place.
    À titre de comparaison, j’ai regardé sur les deux sites de don anglophones que j’ai trouvés en mentionnant une limite de poids (sans préciser haute ou basse). Sur le site du Benioff Children's Hospital de San Francisco, la limite basse est de 110 pounds soit 49,89 kilos et des poussières. Quant au surpoids et à l’obésité il est mentionné ainsi « Il n’y a pas de limite haute du moment que votre poids ne dépasse pas la capacité d’accueil du fauteuil ou lit de don que vous utilisez. Vous pouvez parler de ces limites avec votre médecin traitant ». Sur le site officiel du don de sang au Royaume-Uni Donate Blood, affilié au système de santé publique local, il est écrit à la seconde ligne des conditions pour pouvoir donner son sang : « peser entre 50 et 158 kilos ».
    Pourquoi faire ce choix de ne pas indiquer cette limite sur le site de l’EFS alors ? Ne pas informer les personnes gros•ses de ces conditions « pour ne pas discriminer » n’est en aucun cas meilleur que de l’écrire en toutes lettres. C’est au mieux nous infantiliser, au pire, nous prendre pour des con•ne•s. Surtout que le poids reste une information obtenue sur la base du déclaratif durant l’entretien. Cette façon de responsabiliser les gens d’un côté et de les maintenir dans l’obscurité de l’autre, me laisse dans un insondable abîme de perplexité. Ce n’est pourtant pas faute de coucher noir sur blanc des recommandations aux relents homophobes juste à côté… Cette volonté d’épargner nos susceptibilités, donc, à vif en raison d’une grossophobie médicale déjà bien installée autour ne dédouane pas l’EFS de la grossophobie dont sont imprégnées ses règles imprécises !
  • Des règles imprécises et floues, oui, car : même dans les locaux de l'EFS, elles ne sont pas claires. Une fois ces réponses en poche pour aller faire mon don de plasma le 15 mai, j’ai décidé de questionner le personnel en situation. La médecin qui a fait mon entretien pré-don était extrêmement sèche, et lorsque j’ai demandé pourquoi elle demandait à nouveau le poids que j’avais déjà communiqué lors de l’entretien téléphonique, j’ai eu le droit à un « Oui, eh bien on pose les mêmes questions ici, c’est comme ça ! ». Ensuite, elle a fait la gueule lorsque j’ai répondu par la négative à toutes les questions sur des antécédents pathologiques. Ce jugement silencieux mais bien perceptible, j’en ai l’habitude. Et, clairement, je n’ai pas cherché à aller plus loin avec elle.
    En revanche, l’infirmière qui s’est occupée de moi pour le don derrière m’a répondu avec une simplicité rafraîchissante que non « on n'a pas vraiment de règles sur la limite haute du poids pour le don ». Elle m’a ensuite précisé qu’elle connaissait un donneur régulier qui pesait 140 kilos. Des indications qui laissent supposer que les fameuses règles seraient surtout à l’appréciation de lae médecin réalisant l’entretien pré-don : on y revient.
  • Le calcul vers lequel on me renvoie reste approximatif quant aux personnes obèses. Le spectre de l’obésité mathématique, si j’ose dire, commence avec un IMC de 30, qui marque l’entrée dans l’obésité « modérée ». Nous avons ensuite l’obésité « élevée » à 35 puis l’obésité « massive ou morbide » (on peut aussi trouver « sévère » par endroits) à partir de 40. Or la fameuse règle de Gilcher indique juste « obèse », alors pourquoi une ligne infranchissable à 40 et non à partir de 30, si ce calcul est censé protéger les personnes obèses d’un incident lors d’un don ? Entre 30 et 40, on peut se permettre une mise en danger alors ? 🤔

    Vraiment, il faut qu’on m’explique. Et la réponse attendue n’est certainement pas l’instauration d’un passage obligé sur la balance ou de limites renforcées pour l’accès au don. Non, juste de la cohérence et de la transparence.
  • Last but not least... L’IMC, c’est de la merde.
    Énième rappel : l’Indice de Masse Corporelle est un calcul froid du poids divisé par la taille au carré, qui ne prend en compte ni la masse osseuse, ni la masse musculaire. C’est du pifomètre bien verni, qui peut éventuellement donner une indication de santé… tout à fait arbitraire. Pourquoi gardons-nous encore comme référence, en 2020, une formule bricolée par un mathématicien-astronome-naturaliste-sociologue-mais-pas-médecin belge en 1832 ?! Cette question est loin de ne concerner que l’EFS, mais je la pose quand même, puisqu’on en parle (je vous invite toustes chaleureusement à aller regarder la série de vidéos consacrée à ce sujet d’OK2BeFat, en anglais, sur YouTube).



En conclusion : 


Ceci n’est pas un article à charge contre l’Établissement Français du Sang. C’est un retour d’expérience de donneurse, ainsi que quelques recherches et pistes de réflexion sur un sujet méconnu et... problématique. Je le publie afin que d’autres personnes grosses soient informées et pour qu’elles aussi, puissent venir questionner les imprécisions mentionnées ci-dessus, ainsi que les choix de communication les concernant qui en découlent.
Bien sûr, dans ma sale caboche de révolutionnaire du gras utoptimiste se trouve aussi le scintillant espoir que ces quelques lignes puissent aider l’EFS à s’orienter vers plus de clarté et de bienveillance sur l’encadrement des dons de sang sur le sujet de la corpulence des donneurses.

jeudi 4 février 2016

#BodyPositive : pas une injonction, mais une invitation, à s'aimer

Un sujet qui me tient à cœur et qu'il est primordial d'aborder, puisque je n'en suis qu'aux prémices de ce blog, lorsque l'on parle de #BodyPositivity, c'est le caractère non-injonctif de ce mouvement. Parce que c'est suffisamment compliqué comme ça de vivre dans une société qui, dès le berceau, nous explique que l'on est pas assez ceci, ou trop cela, sans qu'on en devienne encore plus perdant.e.s si en plus, on n'arrive pas à s'aimer dans des conditions pareilles.

Il y a quelques années j'ai eu cette sensation là, d'être entre les deux : consciente du bullshit ambiant au sujet de "la beauté", mais incapable pour autant de me sortir de cette bulle de toxicité. Et donc d'autant plus blessée et en difficulté. Puis, il y a environ un an, lorsque j'ai vraiment sorti la tête de l'eau et commencé à relayer de plus en plus d'articles et memes body posi sur les réseaux sociaux, plusieurs amies m'ont fait part de ce ressenti familier, qu'elles avaient elles aussi.

Il y a une dizaine de jours, suite à un débat sur Facebook concernant une série de photos de nu qui sortaient, un peu, des clichés habituels sur les représentations de "la fâââme" (The Nu Project, perfectible, oui, mais vraiment chouette et surtout toujours en cours), je me suis gentiment pris le bec avec une personne qui estimait que les femmes photographiés étaient "trop" épilées pour mériter le "label" de "naturel". Euuuh... pardon ?

Certes, il y en avait peu qui étaient poilues ou très poilues dans le lot, mais il y en avait aussi beaucoup qui ne montraient pas leurs aisselles ou pubis et quand bien même... qui nous dit que ces personnes n'ont pas fait un choix conscient et éclairé, en accord avec elles-mêmes ? Pourquoi est-ce que sous prétexte qu'on se maquille ou qu'on se rase on est forcément des moutons, des opprimé.e.s qui s'ignorent ? La binarité de la réflexion sur internet me laisse pantoise, parfois, et en particulier dans les débats au sein de ma propre "famille" féministe...

Bref, du coup, j'avais posté ça sur Facebook, en réaction.




Six jours plus tard, je vois passer le coup de gueule de L'Eau Rence sur les limites du mouvement dans mes timelines, et mon amie Diane de Sexy Soucis me l'a envoyé par message. Il parle précisément de ce que j'évoquais plus haut au sujet de mon débat sur la possibilité de se conformer aux/à certaines normes sociales sans pour autant être "une victime", ou dénu.é de réflexion, de recul, sur un sujet pourtant si profondément personnel.





Je me suis dont dit qu'il était intéressant de réagir, pour en nuancer un peu le propos, un peu plus longuement que dans mon post FB :)

Certaines formulations body positive, par excès d'enthousiasme et d'envie de bien faire et non intention de nuire évidemment, peuvent parfois sonner ou être interprétées comme des injonctions. Mais de la même manière que l'on arrive, souvent ou juste parfois, à dire merde à diktats, il convient de faire de même si vous tombez nez à nez avec ce type de propos (même si on sait tou.te.s bien à quel point parfois, ce n'est pas simple). Parce que non, le mouvement body positive n'est pas une injonction à s'aimer (on en a déjà assez comme ça, des choses oppressives à gérer...), mais une invitation à vous donner une chance pour pouvoir le faire... un jour.

Être body posi, c'est s'intéresser aux racines du mal, de nos complexes, prendre conscience des méfaits de la société de consommation et d'image, faire le tri entre les mirages et la réalité. Découvrir sa beauté, et celles des autres, en dehors de tous ces clous rouillés dont est pavée notre route quotidienne. Mais ce n'est pas pour autant qu'on doit rejeter tous les "outils", ou jouets, qu'on nous propose pour "atteindre un modèle de perfection". On en fait l'usage qui nous plait et le choix nous appartient de modifier notre corps, notre apparence. Ou de ne pas le faire. Et le jugement d'autrui à ce sujet est juste irrecevable.

Par exemple, je suis clairement pas plus près de refaire un régime de ma vie que d'abandonner ma collection de tattoos, de cesser de me tracer un énorme trait de liner tous les matins ou de revenir à une couleur de cheveux non licornesque, m'voyez ? Et pourtant, on a souvent opposé ces choix-là que j'ai faits à mes opinions body posi, mais ça n'a aucun sens... Aucun. Le principal reste simplement d'apprendre à s'écouter, se respecter, et si possible, s'amuser. C'est déjà beaucoup, et croyez-le ou non, c'est déjà un premier pas vers l'acceptation et l'amour de soi.

Donc voilà. Traitez-moi de bisounourse-vivant-au-pays-de-Oui-Oui si vous voulez hein, mais quitte à devoir "pousser" une manière de voir les choses, un mode de vie, dans mon militantisme et mes propos... je choisis les yeux fermés de le faire avec celui qui invite à se laisser une chance, parce qu'il y a déjà suffisamment d'industries et de personnalités pour promouvoir le "souffrir pour être belle" en face Et qu'on a cruellement besoin de bienveillance et de douceur, pour accepter de se dire qu'il est possible d'apprendre à vivre dans la non-détestation de soi, ou plutôt, désapprendre à se haïr.

Évidemment que ce n'est pas "une obligation". Bien sûr que c'est très difficile d'aller à contre-courant. Se déconstruire prend un temps fou, et tout le monde n'a pas l'énergie, la force ou l'envie de se lancer dans ce processus qui nécessite clairement de se faire violence pendant un temps. Mais ce n'est pas pour autant qu'on devrait cesser de diffuser des messages optimistes, bienveillants et pleins d'amour, si ? À titre personnel, je suis sûre qu'ils sont, même quand ça ne va pas ou que l'on n'est pas prêt.e à lâcher nos stratégies d'adaptation pour survivre dans cette société, une fine couche de pommade sur nos blessures et nos difficultés. Ils sont rassurants, car porteurs d'espoir, tout simplement.

Je sais de quoi je parle. Ancienne anorexique, harcelée sur mon poids depuis l'enfance par mon entourage le plus proche, il m'a fallu des années à "m'auto-botter le cul" pour arriver là où j'en suis. Et je suis loin d'avoir terminé le voyage. Mais aussi tremblants et douloureux qu'aient été mes premiers pas dans cette direction, je ne reviendrais en arrière pour rien au monde, vraiment, je peux vous l'assurer, à tou.te.s. Car j'ai trouvé bien plus dans cette redécouverte de moi-même que mon passé auto-destructeur ne l'a jamais fait. Et c'est grâce à des personnes comme The Militant Baker, et leurs messages, que j'ai trouvé le courage de me lancer.

Bien sûr qu'on n'a pas tou.te.s le même vécu, pas tou.te.s le même environnement, pas tou.te.s les mêmes problèmes, pas tou.te.s les mêmes ressentis. Et même quand "on est body positive", on a des mauvais jours. Et C'EST OKAY. J'en ai. Régulièrement. Et "les jours où ça va" (= les jours où je ne me trouve pas "dégueulasse" vis-à-vis de l'image que me renvoie le monde), "ça va" rarement durant chaque minute de la journée non plus. Mais c'est déjà un énorme progrès par rapport a il y a 10 ans, et je chéris ces quelques mètres parcourus que je ne m'imaginais jamais gravir, tant le chemin me semblait alors pentu.

Donc sachez que l'intention que je mets dans les images, les mots body posi que je poste ici ne sont qu'une suggestion amicale et sincère, pleine d'empathie, à me rejoindre sur ce chemin, ou du moins à ne pas fermer vos yeux, vos oreilles et vos cœurs à la possibilité de le faire un jour. Rien de plus. Et il en va de même pour les autres "vrais" militant.e.s body positive : celleux qui sont éclairé.e.s sur et concerné.e.s par ces questions. Promis-juré 

Bon, sur ce, je retourne inonder la toile de tendresse arc-en-ciel. Bisous !

Dessin par Laura Athayde - @ltdathayde