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jeudi 30 décembre 2021

Ma pire expérience de grossophobie médicale : la moins "violente" de toutes


Voilà plus d'un an que je n'ai rien écrit sur le blog. Mais au-delà de la fatigue et du surmenage habituels, je sais d'où ça vient : une des dernières expériences de grossophobie médicale que j'ai vécues en avril dernier m'a mis une claque dont je ne me suis pas encore remis·e

Comme l'année avait déjà commencé assez sur les chapeaux de roues avec l'émission de chirurgie bariatrique grossophobe de Karine Le Marchand sur M6 et que la mobilisation de Gras Politique et des militant·e·s féministes anti-grossophobie #PasMaRenaissance avait été extrêmement énergivore... j'ai du me mettre en retrait pour cicatriser —tout en culpabilisant de ne plus trop réagir aux actualités sur la grossophobie ces derniers mois, sinon, ça n'aurait pas été drôle. Bref, je ne sais pas si je suis tout à fait prêt·e à l'heure où j'écris ces lignes, mais j'ai en tout cas la certitude qu'il m'est nécessaire de laisser cette mauvaise expérience derrière-moi, en 2021, et qu'il me reste très peu de temps pour le faire en posant des mots dessus. Alors advienne que pourra, je me lance. 

Baisser sa garde face à la grossophobie médicale : grosse erreur !

Comme le titre vous l'aura indiqué, je vais vous parler de l'expérience de grossophobie médicale que j'ai le plus mal vécu en 32 tours du Soleil, bien qu'elle n'ait pas été « méchante » ou « maltraitante » pour un sou. Faites-vous infuser un petit pisse-mémé, je vais planter le décor et ce ne sera pas exactement rapide.

Militant·e LGBTQI+ et féministe engagé·e dans la lutte contre le VIH/sida et la sérophobie depuis 2015, dans une association, puis maintenant deux, j'ai souhaité en début d'année dernière intégrer un essai vaccinal ambitieux qui s'est lancé en région parisienne. Cela nécessitait : une bonne disponibilité durant plusieurs mois pour des examens réguliers, de suivre des consignes assez strictes pour que le protocole scientifique de l'étude soit respecté et être à l'aise avec l'idée que, selon si on se retrouvait dans le groupe placébo ou non, il y avait la possibilité de se retrouver avec un "faux positif" VIH (la présence souhaitée d'anticorps lorsque l'on développe un vaccin, en gros). Ce qui, sérophobie administrative oblige (les personnes séropositives sous traitement ont une espérance de vie égale à celle des séronegs), aurait nécessité des justificatifs pour les banques et assurances lors d'une demande prêt notamment, sachant qu'en temps que personne obèse je suis déjà mauvais·e candidat·e pour ce genre de démarches... mais c'est un autre sujet.

Le jour de mon entretien avec une des deux personnes en charge de l'essai vaccinal en visio, j'avais bien tout cela en tête, mais une question et une seule à poser : mon poids va-t-il être un problème pour participer à cette étude ? Après mes découvertes du printemps 2020 sur les restrictions « à la tête du client » imposées aux donneurs·ses de sang gros·ses par de l'Établissement Français du Sang, je préfère ne pas compter sur l'objectivité des soignant·e·s que j'ai en face sur le sujet et poser directement la question. Mais, mon obésité ne sera pas un obstacle, m'assure le professeur ! Une réponse apaisante qui m'a permis de me projeter dans ma participation à cet essai qui, vous l'aurez compris dans le paragraphe précédent, me tenait énormément à coeur.

On en apprend vraiment tous les jours sur l'étendue de la grossophobie

Rassuré·e, quelques semaines plus tard, je me rends dans l'un des hôpitaux où le suivi de l'étude est assuré, en journée, sur des heures qu'il me faudra rattraper au travail. Je m'acquitte des formalités à l'accueil puis suis reçu·e par une personne que je ne connaissais pas et non mon interlocuteur, dans un bureau, pour un dernier entretien avant de passer aux prises de sang préalables à l'entrée dans le protocole d'essai. Tout d'abord, on doit s'assurer que je n'ai pas de contre-indications. Je parcours le document de plusieurs pages (je n'ai pas compté, j'aurais dû, me dis-je rétrospectivement, pour souligner l'absurdité qui approche), et rien, absolument rien, en travers du chemin. Mais une fois cela terminé, on me demande de monter sur la balance. J'ai vu flou. Je ne l'ai pas vu venir et n'ai pas su protester, alors même que mes angoisses d'ancien·ne anorexique de me confronter à cet instrument de torture sans avoir enlevé toutes les couches de vêtements possibles auparavant remontaient, je suis monté·e dessus.

Tout est allé très vite. Je n'ai pas regardé mon poids, je m'en fous, mais la soignante s'est immédiatement lancée dans le calcul de mon IMC, sans un regard vers moi. Verdict : 42 et des poussières, ce qui, apparemment, disqualifiait sur le champ ma participation. La pièce s'est mise à tanguer. Pardon ? La limite est de 40, m'indique-t-on. Ce n'était pas sur le questionnaire que je venais d'avoir entre les mains, et surtout, le mec à la tête de l'étude m'avait assuré que mon obésité ne serait pas un problème. Il doit y avoir une erreur. J'essaie de garder mon calme et demande à ce que cela soit confirmé, ou infirmé. Elle me laisse seul·e quelques minutes dans la pièce puis revient avec une collègue, l'air gêné, un peu désolé aussi, pour me dire que, effectivement, on m'avait fait·e venir pour rien car ma candidature à l'essai n'était pas recevable en raison de mon poids. 

Je ne sais pas comment j'ai réussi à sortir de ce dédale de couloirs, d'ascenseurs et de halls en gardant la tête haute, mais une fois sur le parking, j'ai explosé. Malgré le flot continu de larmes qui embuait mes yeux, je me suis empressé·e d'écrire au professeur qui dirigeait l'étude pour lui faire part de mon incompréhension et de ma déception, tout en lui rappelant le b.a.-ba de l'IMC, à savoir :

Quelques heures plus tard, lorsque j'ai repris ma journée de télétravail, défait·e et les yeux en feu, j'ai reçu sa réponse :

« Chère Olga je suis désolé et cela est de ma faute j'aurais du demander plus exactement vos mensurations. Je suis d'accord avec vous que tout cela est assez arbitraire mais ce sont des critères que nous ne pouvons pas contourner.

Je vous remercie encore pour votre engagement et vous tiendrai au courant si vous le souhaitez de la suite de ce projet

Bien cordialement »

Naturellement, je n'y ai rien trouvé de réparateur dans ces mots, juste un bon torrent de boue au moulin de ma colère. « Je suis d'accord avec vous que tout cela est assez arbitraire mais ce sont des critères que nous ne pouvons pas contourner ». Un éminent membre du corps médical venait littéralement de hausser les épaules pour confirmer toutes les choses que les fat activistes dénoncent depuis des décennies au sujet de l'IMC comme unité de mesure pertinente.

Je suis trop lourd·e —par rapport à quoi, on ne sait pas— juste trop lourd·e

J'aurais pu surenchérir : mais du coup, le vaccin, à terme, il serait aussi injecté à des personnes obèses, n'est-ce pas ? Je n'ai aucune des nombreuses et pour certaines fréquentes contre-indications à l'étude et c'est mon IMC, qui ne donne aucune indication sur mon état de santé, le facteur d'exclusion ? Vous admettez que l'Indice de Masse Corporelle est un outil daté et arbitraire mais vous n'avez pas songé à l'enlever des facteurs de sélection pour votre étude parce que... c'est comme ça ? Je bouillonnais de rage. Mais j'ai préféré laisser tomber. Je suis trop lourd·e — par rapport à quoi, on ne sait pas — juste trop lourd·e et ce constat est un point final. Avec des années de lutte contre diverses formes de grossophobie derrière moi, j'ai appris à choisir mes combats, celui-ci était, malgré ce que l'on m'avait initialement assuré, perdu d'avance.

Clairement, vous avez venu voir le truc dès les premières lignes de ce témoignage, contrairement à moi qui me pensais en sécurité après un échange oral. Mais j'ai envie de m'attarder sur le ressenti que j'en ai, encore aujourd'hui, 8 mois après. Dans le titre puis l'intro de ce billet de blog, je parle de la pire expérience de grossophobie médicale que j'ai vécue. Je m'auto-choque presque, en l'admettant. Parce que des connards en blouse blanche qui m'ont fait une leçon sur la posture, le sport et l'alimentation sans regarder ma gorge alors que je venais pour une angine purulente ou qui ont pris soin de préciser que mon foie était « graisseux » pendant l'écho censée déterminer la taille des calculs rénaux qui me faisaient tordre de douleur, j'en ai rencontré un paquet sur mon chemin...

Les médecins qui se sont montré·e·s méprisant·e·s, injustes, indélicat·e·s, insensibles voire méchant·e·s quant à mon poids, je ne les compte plus, et ça, c'était de la violence médicale grossophobe pure jus. Alors pourquoi est-ce que j'ai si mal vécu cette dernière expérience ? Après tout, ce n'est pas un droit que de pouvoir participer à une étude clinique en tant que cobaye, j'en ai bien conscience. Il ne s'agit pas non plus de mon accès à la santé, fondamental, je m'en rends bien compte.

J'ai échangé avec pas mal de copaines ces derniers mois à ce sujet, concerné·e·s par le VIH, par le surpoids ou l'obésité, les deux à la fois pour certain·e·s, ma psy bien sûr et quelques soignant·e·s non-grossophobes de mon entourage. Toustes ont été choqué·e·s et m'ont confirmé que je n'étais pas dans le caprice que ma grossophobie intériorisée me le laissait penser. Iels m'ont permis de comprendre que ce que j'avais vécu là en terme de grossophobie médicale était une violence symbolique réelle. Et c'est vrai, en sortant de l'hôpital, je me sentais bon·ne à rien, inutile et seul·e fautifve de l'être. Ce qui est bien caractéristique des délicieuses sensations que la grossophobie offre aux gros·ses — sans solutionner « l'épidémie d'obésité » pour autant, étrangement, mais bon, comme pour l'usage de l'IMC, on continue, parce que flemme de changer quoi que ce soit pour ces feignasses de gros·ses et puis, le contrôle du corps est une valeur vue comme morale facilement cotable en bourse après tout !

Rappel : aucune excuse pour la grossophobie.

Ce n'est certes pas mon intégrité physique qui a été menacée, mais ma valeur en tant que membre de la société qui a été remise en question par cette règle bancale mais traditionnelle de l'IMC « trop élevé », comme pour ma mésaventure au don de sang. Et, mes cher·e·s adelphes du gras, laissez-moi vous dire et vous répéter que tout, absolument tout, ce qui nous fait sentir inférieur·e·s, indésirables et indignes de considération et de respect en raison de notre grosseur est le problème que nous n'avons jamais été.

Mes gros·ses sûr·e·s, en cette période de fêtes de fin d'année particulièrement riche en grossophobie, je vous envoie toutes mes plus tendres pensées pour vous caresser, si vous y consentez, dans le sens du bourrelet. J'espère —sans trop y croire non plus, vu que la dernière fois que je me suis permis d'être moins vigilant·e la réalité m'a roulé dessus— que l'année 2022 sera plus douce avec nous. Prenez soin de vous, et, vraiment, invoquez le pouvoir de la non-mixité grosse aussi souvent que possible pour recharger les batteries ❤️❤️❤️



PS : quant à l'IMC, l'article de Lucie Inland Plus que jamais, l'IMC est une mesure obsolète de la bonne santé sur Slate (qui m'a d'ailleurs fait l'honneur de citer mon billet sur le don du sang) est un essentiel, à faire lire à toustes !

mercredi 20 mai 2020

Obésité et interdiction de donner son sang ? Grosses imprécisions dans les règles de l'EFS...



Le jeudi 16 avril dernier, j’ai écrit à l’adresse mail de l’étude Plasmacovid de l’hôpital St Antoine, en lien avec l’Établissement Français du Sang. Comme son nom l’indique, c’est une recherche en cours sur le plasma des personnes ayant eu le Covid-19, afin de trouver un traitement pour les malades.

Alors que je pensais qu’on ne me répondrait jamais car je m’y étais pris trop tard, le 7 mai, une médecin de l’EFS me rappelle pour me poser les questions de routine puis pour prendre RDV. Tout va bien jusqu’au moment où l’on évoque mon poids, qui n’avait pas été mis à jour depuis mon dernier don, il y a un petit moment. 115 kilos pour 1m71, j’entends une contrariété dans la voix au bout du fil. « Hmmm… c’est un IMC à 39,3 soit juste à la limite ! ».


« Ben ça peut faire des problèmes de santé après… »



Comment ça, la limite ? Quelle limite ? Je suis donneurse depuis plus de 10 ans et c’est la première fois que j’entends parler de ça, alors que la limite des 50kg minimum — qui ne m’a jamais concernée — je l’ai toujours vu mentionnée partout ! Mon interlocutrice me dit qu’avec un IMC égal ou supérieur à 40, pas de don possible. Coincé•e entre ma joie de pouvoir mettre mon historique de coronavirus à contribution, la surprise complète face à cette info contrariante et l'envie de gueuler injustement contre la (par ailleurs très gentille) médecin au téléphone… Je n’ai pas réussi à venir questionner correctement cette histoire de limite haute. Naturellement, en guise d’explication fuyante, j’ai eu le classique « ben ça peut faire des problèmes de santé après… ». Okay, vu.


Le temps de digérer cette nouvelle et voir ce que j’allais en faire, plus d’une semaine avant de me rendre à l’EFS, j’ai partagé cette déplaisante découverte sur les réseaux sociaux. Je n’ai pas fait de statistiques mais, à vue de nez, j’ai eu 85% de personnes concernées sur leur gros cul, choquées, et les 15% restants s’étaient déjà vu refuser un don de sang en raison de leur poids. Ça sent le truc à l’appréciation de lae soignant•e qui mène l’entretien en amont du don, ça !... Pour m’éviter de me jeter sur cette conclusion en prenant un raccourci, j’ai fouillé sur le site de l’EFS. Mais rien, nulle part, ne stipule une telle limite. Et mon énervement n’a fait que croître. J’ai donc fini par poser ma question dans ma conversation mail initiale. Rapidement, j’ai eu la réponse suivante :

« Un IMC supérieur ou égal à 40 est estimé comme un facteur de risque, élément important pour nous médecin à prendre en compte lors de l’entretien médical pour un bonne tolérance sur le plan cardiologique. Le poids et la taille étant des données mises à jour à chaque entretien pré-don. La sécurité du receveur et du donneur est primordiale. En vous remerciant de l’ intérêt que vous portez aux malades, je reste à votre disposition pour tout complément d’information »
Puisque la réponse restait vague et que l’on m’a ouvert la porte pour continuer à poser des questions, je suis retourné•e à la charge en faisant part des retours que j’avais eus de donneurses gros•ses, et de ma propre expérience de grossophobie médicale. La réponse, un peu plus échaudée du côté de la docteure au bout du clavier, ne s'est pas faite attendre :
« En aucun cas c’est selon l’appréciation personnelle des personnes habilités à l’entretien pré-don. L’arrêté du 17 décembre 2019 réactualisé le 02/04/2020 fixant les critères de sélection des donneurs de sang nous explique que dans le cadre de l’obésité, le volume sanguin est surestimé par rapport au poids seul et expose ainsi le donneur à un risque plus important d’incident indésirable. La sécurité du donneur est aussi importante que celle du receveur. »

Ah ben voilà, de vrais éléments à creuser. Et, clairement, le principe de prendre soin de la personne qui donne son sang autant que celle qui le reçoit est essentielle, bien sûr ! Sauf qu’en consultant le texte de loi qu’a évoqué cette membre de l’EFS sur Legifrance, aucune trace des directives qu’elle a évoquées dans le mail. Je lui envoie donc le lien pour lui demander si c’est bien ce texte-là, ou si elle peut m’en envoyer le document auquel elle fait référence. JE VEUX COMPRENDRE.


« Il n’y a pas de loi qui stipule cette limite, il s’agit de bon sens »

Manifestement, j’ai déclenché une petite panique en interne, car c’est une docteure de l’EFS de Créteil qui m’a appelée dans l'heure qui a suivi, après qu’on lui a transmis mes mails. La suite s’est donc faite à l’oral, à mon grand regret. J’ai tenté de prendre les notes les plus fidèles possibles, mais ce ne sera pas aussi précis qu’avec un échange écrit, forcément…


« Il n’y a pas de loi qui stipule cette limite, il s’agit de bon sens », me dit-elle tout d’abord, « car notre mission première est la sécurité donneur ». Encore une fois : j’entends et je respecte cette approche là, mais ce n’est qu’une réponse partielle à mon interrogation, légitime. Elle m’explique ensuite qu’il y a un premier facteur, pour une limite haute, d’ordre matériel : « Sur les lieux de collecte mobile, les fauteuils ne peuvent pas soutenir une personne pesant plus de 130 kilos ». C’est relou, mais c’est pas comme si on avait pas l’habitude que les infrastructures ne nous prennent pas en compte, nous les gros•ses. Rien de surprenant ou de révolutionnaire de ce côté, donc. Mais quid des risques dont m’avait parlé ma première interlocutrice ?

La médecin enchaîne alors avec des explications sur l’aspect médical de la question, pour justifier un refus aux personnes avec un IMC égal ou supérieur à 40. À l’EFS, l’IMC permet de « ranger les sujets en trois catégories : maigres, normaux, obèses ». Hum. « Les personnes obèses n’ont pas plus de sang dans leur organisme que les autres et quel que soit le sujet, on ne peut pas prélever plus de 13% de la masse sanguine totale ». Pour finir, elle me répète qu’elle ne peut pas me renvoyer vers un document détaillant cette règle, mais que je peux me référer au calcul de Gilcher sur le volume sanguin total, sur lequel se base l’EFS pour encadrer ses dons.


Voici ce que j’ai trouvé sur le dit calcul ici (sic) et :


« Règle des 5 de Gilcher permettant de calculer le VST (volume sanguin total)

Femme :
- obèse : 60 ml/kg
- normale : 70 ml/kg
- maigre : 65 ml/kg
- athlétique : 75 ml/kg.

Homme : VST de la femme + 5 ml/kg » 


Okay, là, j’ai eu ma réponse. C’est quand même autre chose que les « facteur de risque » ou « incident indésirable » qu’on m’a servi de prime-abord, sans explications concrètes pour étayer !




Calculs incomplets, justifications bancales


Cependant, si ces précisions finalement obtenues me semblent en effet faire appel à une vraie logique, que je peux envisager d’accepter, elle ne me font pas décolérer pour autant. Pourquoi ? Parce que :

  • Si la limite basse des 50kg minimum pour faire un don est indiquée absolument partout, celle qui touche à un IMC supérieur ou égal à 40 ne l’est pas. Un refus qui tombe du ciel pour une personne n’ayant pas connaissance d’une limite la concernant, c’est violent. Et injuste. Surtout après avoir fait la démarche de venir sur place.
    À titre de comparaison, j’ai regardé sur les deux sites de don anglophones que j’ai trouvés en mentionnant une limite de poids (sans préciser haute ou basse). Sur le site du Benioff Children's Hospital de San Francisco, la limite basse est de 110 pounds soit 49,89 kilos et des poussières. Quant au surpoids et à l’obésité il est mentionné ainsi « Il n’y a pas de limite haute du moment que votre poids ne dépasse pas la capacité d’accueil du fauteuil ou lit de don que vous utilisez. Vous pouvez parler de ces limites avec votre médecin traitant ». Sur le site officiel du don de sang au Royaume-Uni Donate Blood, affilié au système de santé publique local, il est écrit à la seconde ligne des conditions pour pouvoir donner son sang : « peser entre 50 et 158 kilos ».
    Pourquoi faire ce choix de ne pas indiquer cette limite sur le site de l’EFS alors ? Ne pas informer les personnes gros•ses de ces conditions « pour ne pas discriminer » n’est en aucun cas meilleur que de l’écrire en toutes lettres. C’est au mieux nous infantiliser, au pire, nous prendre pour des con•ne•s. Surtout que le poids reste une information obtenue sur la base du déclaratif durant l’entretien. Cette façon de responsabiliser les gens d’un côté et de les maintenir dans l’obscurité de l’autre, me laisse dans un insondable abîme de perplexité. Ce n’est pourtant pas faute de coucher noir sur blanc des recommandations aux relents homophobes juste à côté… Cette volonté d’épargner nos susceptibilités, donc, à vif en raison d’une grossophobie médicale déjà bien installée autour ne dédouane pas l’EFS de la grossophobie dont sont imprégnées ses règles imprécises !
  • Des règles imprécises et floues, oui, car : même dans les locaux de l'EFS, elles ne sont pas claires. Une fois ces réponses en poche pour aller faire mon don de plasma le 15 mai, j’ai décidé de questionner le personnel en situation. La médecin qui a fait mon entretien pré-don était extrêmement sèche, et lorsque j’ai demandé pourquoi elle demandait à nouveau le poids que j’avais déjà communiqué lors de l’entretien téléphonique, j’ai eu le droit à un « Oui, eh bien on pose les mêmes questions ici, c’est comme ça ! ». Ensuite, elle a fait la gueule lorsque j’ai répondu par la négative à toutes les questions sur des antécédents pathologiques. Ce jugement silencieux mais bien perceptible, j’en ai l’habitude. Et, clairement, je n’ai pas cherché à aller plus loin avec elle.
    En revanche, l’infirmière qui s’est occupée de moi pour le don derrière m’a répondu avec une simplicité rafraîchissante que non « on n'a pas vraiment de règles sur la limite haute du poids pour le don ». Elle m’a ensuite précisé qu’elle connaissait un donneur régulier qui pesait 140 kilos. Des indications qui laissent supposer que les fameuses règles seraient surtout à l’appréciation de lae médecin réalisant l’entretien pré-don : on y revient.
  • Le calcul vers lequel on me renvoie reste approximatif quant aux personnes obèses. Le spectre de l’obésité mathématique, si j’ose dire, commence avec un IMC de 30, qui marque l’entrée dans l’obésité « modérée ». Nous avons ensuite l’obésité « élevée » à 35 puis l’obésité « massive ou morbide » (on peut aussi trouver « sévère » par endroits) à partir de 40. Or la fameuse règle de Gilcher indique juste « obèse », alors pourquoi une ligne infranchissable à 40 et non à partir de 30, si ce calcul est censé protéger les personnes obèses d’un incident lors d’un don ? Entre 30 et 40, on peut se permettre une mise en danger alors ? 🤔

    Vraiment, il faut qu’on m’explique. Et la réponse attendue n’est certainement pas l’instauration d’un passage obligé sur la balance ou de limites renforcées pour l’accès au don. Non, juste de la cohérence et de la transparence.
  • Last but not least... L’IMC, c’est de la merde.
    Énième rappel : l’Indice de Masse Corporelle est un calcul froid du poids divisé par la taille au carré, qui ne prend en compte ni la masse osseuse, ni la masse musculaire. C’est du pifomètre bien verni, qui peut éventuellement donner une indication de santé… tout à fait arbitraire. Pourquoi gardons-nous encore comme référence, en 2020, une formule bricolée par un mathématicien-astronome-naturaliste-sociologue-mais-pas-médecin belge en 1832 ?! Cette question est loin de ne concerner que l’EFS, mais je la pose quand même, puisqu’on en parle (je vous invite toustes chaleureusement à aller regarder la série de vidéos consacrée à ce sujet d’OK2BeFat, en anglais, sur YouTube).



En conclusion : 


Ceci n’est pas un article à charge contre l’Établissement Français du Sang. C’est un retour d’expérience de donneurse, ainsi que quelques recherches et pistes de réflexion sur un sujet méconnu et... problématique. Je le publie afin que d’autres personnes grosses soient informées et pour qu’elles aussi, puissent venir questionner les imprécisions mentionnées ci-dessus, ainsi que les choix de communication les concernant qui en découlent.
Bien sûr, dans ma sale caboche de révolutionnaire du gras utoptimiste se trouve aussi le scintillant espoir que ces quelques lignes puissent aider l’EFS à s’orienter vers plus de clarté et de bienveillance sur l’encadrement des dons de sang sur le sujet de la corpulence des donneurses.

mardi 26 décembre 2017

"Bonnes résolutions" : quelques ressources pour dire MERDE à l'Argument Santé™ des grossophobes


Çaaaaa y est : un des deux gros réveillons de la fin d'année est passé. Les média et les discussions de la machine à café vont passer de comment-faire-de-supers-repas-de-fêtes-mais-ne-surtout-pas-prendre-un-gramme aux satanées "bonnes résolutions".
Je ne vous apprends rien en vous disant que ces dernières sont souvent centrées sur l'alimentation, le sport, la perte de poids, l'apparence, et que la grossophobie se cache à peine entre les lignes de ces sujets.
Et puisque la "morale" qui veut continuer de diaboliser toujours plus le gras s'appuie systématiquement sur le fameux Argument Santé (le point Godwin de toute discussion autour du poids et de la grossophobie), pour cacher sa gêne esthétique face au gras...
Cette pratique s'appelle le "concern trolling", autrement dit, prétendre être allié.e d'une cause pour mieux faire passer sa critique de cette dernière.

En ce 26 décembre 2017, j'enfile donc mes oreilles de lutin vénère pour vous poster quelques liens utiles pour faire un peu de désintox chez ces trolls zélé.e.s de la détox...

 

"Ouiiiiiiiii, mais être gros c'est forcément être en mauvaise santé"

Il existe de nombreuses contre-études quant à cette case du bingrossophobe, l'une de ses porte-paroles est Traci Mann, auteure du livre "Secrets From the Eating Lab: The Science of Weight Loss, the Myth of Willpower, and Why You Should Never Diet Again" (Secrets du laboratoire de la nourriture : la science de la perte de poids, le mythe de la volonté et pourquoi vous ne devriez plus jamais faire de régime), qui milite pour qu'on arrête de se focaliser sur le poids en matière de santé, et que l'on s'intéresse réellement à ce qui tue effectivement les gros.ses (la sédentarité/l'isolement, la précarité, l'accès compliqué aux soins médicaux).


(on adore _NON_ le visuel déshumanisant choisi par la BBC pour illustrer le sujet, uhhh...)

"L'Argument Santé est un fait rationnel et objectif dans le débat sur le surpoids et l'obésité"

Lors de son intervention à la journée "Grossophobie, Stop" à l'Hôtel de Ville de Paris le 15 décembre 2017, Jes Baker a évoqué plusieurs études qui démontent la corrélation "obligatoire" entre gras et mauvaise santé (elles sont citées dans les sources de son livre "Things No One Will Tell Fat Girls", qui, selon une source proche, aurait pour ). Elle a dit qu'elle en parlait régulièrement lors de ses interventions en milieu scolaire ou universitaire, et qu'on ne croyait ces propos que lorsqu'elle montrait que les scientifiques ayant conduit ces études étaient... minces. Alors pour l'objectivité de votre Argument Santé, on repassera, hein, Jean-Mi !

D'ailleurs, il aussi est important de rappeler qu'aujourd'hui on parle de santé des gros.ses en matière d'Indice de Masse Corporelle, ce truc totalement imprécis et arbitraire, vous savez... La fat activiste Ali Thompson (Mean Fat Girl), de Ok2BeFat, a lancé une série de vidéos pour vous prouver à quel point le concept d'IMC est ban-cal :



"Nan mais arrête, on se soucie aussi bien de la santé des minces que des gros.ses hein, stop la victimisation !"

Dans son livre, "There Is No F*cking Secret: Letters From a Badass Bitch", Kelly Osbourne a parlé de son passé de grosse en ces termes : "En ce qui concerne les média, j'étais bien plus harcelée à cause de ma grosseur qu'à cause de mon addiction aux drogues et mes cures de rehab. Après tout, les gens beaux vont tout le temps en rehab, donc c'était presque acceptable. Alors qu'être grosse, non". Arrêtons deux secondes de faire comme si on mettait toutes les questions de santé publique au même niveau siouplé, vos "arguments" découlent simplement d'un système médical profondément grossophobe.


De plus, s'il est désormais prouvé que les médecins passent à côté du diagnostic de leurs patient.e.s gros.ses en leur prescrivant un régime quelle que soit la liste des symptômes, ils ont aussi naturellement tendance à considérer les minces comme "automatiquement en bonne santé"... Et manquer le coche là aussi, question qui a également été évoquée à l'event Grossophobie Stop, entre Daria Marx de Gras Politique, Gabrielle Deydier et Sylvie Benkemoun du GROS (Groupe de Réflexion sur l'Obésité et le Surpoids).
Quand Bevin Branlandingham, de Queer Fat Femme, dit que les minces entretient un système grossophobe qui les blesse elleux aussi... Il n'y a sans doute pas d'exemple plus parlant de cette affirmation.

"C'est pour ton bien"



Harceler les gros.ses jusqu'à ce qu'iels (re(re(re(re)))*)fassent un régime, puis se reprennent l'inévitable (à moins de rester au régime à vie, cimer le trouble du comportement alimentaire) effet yoyo dans les dents, jusqu'à ce qu'iels risquent leur vie sur une pétain de billard pour se faire mutiler un organe sain et reprendre du poids là aussi au bout de quelques années (à cause notamment du manque de suivi), tout en accentuant anxiété, dépression, pensées suicidaires chez les concerné.e.s... c'est clairement pas une approche "bonne" ou "saine". C'est juste une solution pour calmer l'irritation oculaire que provoque le gras chez toi, à court terme. Occupe-toi de tes petites fesses à toi chaton, veux-tu ?

*ben non scoop du siècle, on sait qu'on est gros.ses, t'es pas lae premier.e malin.e à me suggérer de maigrir pour résoudre tous mes problèmes d'un coup de baguette magique tu sais...

"Le sport c'est le truc le plus sain au monde de toute façon"

Primo, va dire ça aux genoux des joggeurs.euses, Marie-Églantine !
Secondo, les machines de sport si prisées par la culture du fitness nous viennent tout droit de l'univers carcéral, déso pas déso, mais ça peut juste être bon signe pour personne.




Un peu facile comme réponse ?
Ben pas tellement plus que l'injonction au sport comme remède miracle, en fait : associer les gros.ses à la paresse est un stéréotype qui entretient leur isolement, les violence qu'iels endurent.

"Si je peux, tu peux !"

Tu vas te calmer tout de suite avec ton empowerment capitaliste à trois francs six sous, Macron.
Ni toi ni moi n'avons les mêmes privilèges, déjà, et surtout, nous ne sommes pas bâti.e.s pareil donc nous demander de performer exactement les mêmes choses est tout simplement absurde.

L'association américaine HAES (Health At Every Size), qui regroupe des soignant.e.s engagé.e.s à considérer lae patient.e comme un tout et non juste son poids ou son apparence pour lae soigner, a fait une vidéo très pertinente pour démontrer cette arnaque (c'est en anglais, mais on peut à la fois activer les sous-titres et la traduction dans la barre de réglages, si vous en avez besoin) :

D'ailleurs, l'HAES n'est pas la seule asso à se pencher sur ces questions. En France, nous avons le GROS (Groupe de Réflexion sur l'Obésité et le Surpoids), qui rassemble des professionnel.le.s de santé qui proposent une vision critique de la culture de la minceur dans son ensemble, et une approche non biaisée des soins pour les gros.ses.

"Si la grossophobie était une vraie oppression, jusque chez le médecin, il y aurait des associations, on en parlerait..."

Mais tu as tout à fait raison, t'en parler est justement ce que je suis en train de faire. Je t'invite à donc faire un tour chez Gras Politique ou encore Allegro Fortissimo, et te renseigner sur la campagne "Grossophobie, stop" de la Marie de Paris.




Un peu de lecture... EN SILENCE, avant de reprendre la parole sur le sujet (en levant la main !).




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J'ai volontairement été un peu plus concise qu'à mon habitude (j'ai mis un max de liens !), chépa vous, mais perso, chuis épuisée. J'écrirai à nouveau sur cette thématique plus tard, plus posément. Mais quoi qu'il en soit les ressources sont là pour qui veut bien les lire dans l'idée d'apprendre et vous ne "devez" de pédagogie à personne. Les faits sont là pour qui veut bien prendre le temps de chercher un peu, d'écouter, et si votre interlocteur.rice grossphobe ne veut rien entendre, vous n'avez pas pour mission sacrée de lae convaincre (c'est là que vous pouvez prendre le relais, cher.e.s allié.e.s minces ;) ) : la priorité est de vous préserver VOUS.

Et pour finir, je vais enfoncer une porte ouverte, mais comme ça fait vachement moins mal aux épaules qu'un mur comme ceux qui se dressent souvent face à nous, j'me dis que ça fait pas de mal : en bonne santé ou pas, les gros.ses ne sont pas des sous-êtres humains. Nous sommes tout aussi légitimes que les minces, quel que soit la teneur de leur bilan médical, pour prétendre au respect, à la considération, à la représentation, à une vie tranquille loin des injonctions non-sollicitées et du harcèlement normatif, au bonheur.

Puisse l'année-2018-année-de-la-cellulite (je crois bien que c'est une trouvaille de Gras Politique^^), qui arrive sonner le glas de la grossophobie !